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Page:Spenlé - Novalis.djvu/79

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UN SUICIDE PHILOSOPHIQUE

À un illusionnisme moral de ce genre on verra aboutir chez Novalis toutes les prédispositions organiques que nous venons d’analyser. « L’illusion », disait-il, « est aussi indispensable à la vérité que le corps à l’âme… Avec de l’illusion je fais de la vérité… Comme je prends une chose, ainsi est-elle pour moi… Si un homme croyait réellement qu’il est moral, il le serait en effet… Toute synthèse, tout progrès, tout mouvement commence par l’illusion… La foi est l’opération illusoire, le principe de l’illusion… ».[1] Dans une lettre adressée à son frère Érasme il exposait déjà ce qu’il appelait son nouveau système de philosophie. « Ne faiblis pas dans la foi à l’universalité de ton Moi », écrivait-il au jeune phtisique, en manière de consolation. « Imagine-toi que tu es un héros blessé au champ d’honneur. Autour de toi se pressent tes compagnons, les preux de tous les temps et déjà apparaît la main qui écrit ton nom en caractères stellaires. Chaque pleur ne se changerait-il pas en un cri d’allégresse ? Oh ! qu’une pareille souffrance serait facile à supporter !… Rends-toi ta situation intéressante : imagine tout autour de toi en rapport avec la durée infinie. »[2] Pendant la maladie de sa fiancée il avait expérimenté lui-même le pouvoir merveilleux de se construire un monde imaginaire, de se trouver là et d’y vivre comme une personnalité nouvelle et complète. « Mon imagination s’exalte », écrivait-il, « à mesure que diminue mon espérance. Lorsque celle-ci sera entièrement anéantie, réduite à une pierre tombale sur la limite de deux mondes, mon imagination aura pris son vol assez haut pour m’emporter en des régions, où je retrouverai ce qu’ici-bas j’ai perdu. »[3]

Si vraiment l’empire de la foi est illimité, si, scrutée dans ses profondeurs, la vie est réellement une « idéation magique », « un emploi arbitraire du monde des corps », ne s’ensuit-il pas que l’homme doit pouvoir se faire à lui-

  1. N. S. II, 2, pp. 464 et 165.
  2. Nachlese, op. cit. p. 118 et 119.
  3. Nachlese, op. cit., p. 130.