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Page:Spenlé - Novalis.djvu/81

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UN SUICIDE PHILOSOPHIQUE

la plus ardente et la plus subtile des voluptés. « Que Dieu me conserve toujours », s’écriait-il, « cette douleur indiciblement douce, ce souvenir plein de tristesse ! »

LE JOURNAL D’UN POÈTE


Ce n’était pas un cas entièrement nouveau dans la littérature allemande que cette exaltation de la souffrance, de la maladie et de la mort. Ici encore nous trouvons Jean Paul, qui fut, à plus d’un égard, l’initiateur de la littérature romantique en Allemagne. Il semble avoir pressenti Novalis et Hoffmann. Particulièrement il s’était fait une spécialité des jeunes phtisiques, atteints de mélancolie hystérique, et il en avait tiré le type éminemment romantique de « l’homme haut ». — « J’entends par là », disait-il dans la Loge invisible — « celui qui, à un degré plus ou moins élevé, joint à toutes les qualités humaines quelque chose de si rare sur terre : l’élévation au-dessus de la terre et le sentiment de l’incompatibilité entre notre cœur et le lieu où nous sommes emprisonnés, l’homme qui élève ses regards au-dessus de l’inextricable confusion et des appâts dégoûtants de notre sol, qui désire la mort et a les yeux fixés au delà des nuages. »

Son roman Hespérus venait de paraître. Il avait composé cette œuvre dans un état, dit-il lui-même, voisin du délire et parmi des transports « qui faillirent lui coûter la vie. » Là apparaît la figure d’Emmanuel, le plus haut des hommes hauts, le premier des « surhommes » romantiques. Emmanuel ne vit que pour mourir, pour briser les liens charnels qui l’attachent encore à la glèbe terrestre, « aux appâts dégoûtants de notre sol ». La mort est sa vocation, la dissolution sa seule raison de vivre. Voluptueusement il analyse les progrès de la phtisie, qui empourpre de fièvre ses joues amaigries et fait perler une écume sanguinolente au coin de ses lèvres décolorées. Il mourra, il le sait, il