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Page:Spenlé - Novalis.djvu/82

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NOVALIS

en a la foi indéracinable, le 24 juin de l’année suivante, « au soir du plus long jour de l’année ». Par un simple acte de volonté il accomplira lui-même le détachement suprême. Ses paroles ne sont plus qu’un long hymne à la dissolution : « Souffle sur moi des flots plus intenses, brise matinale ! Entraîne-moi dans tes vagues infinies, qui flottent sur nos prairies et sur nos forêts, emporte-moi sous un dôme fleuri, par delà les jardins brûlants et les fleurs éclatantes, et dans le vertige d’une ivresse, parmi les fleurs et les papillons ailés, laisse-moi, les bras grands ouverts, tournés vers le soleil, doucement me dissoudre et mourir en frôlant le sol. » Cette conscience de la mort prochaine et cette élévation au-dessus de toutes les réalités terrestres ont fait éclore en lui une sagesse sublime et surhumaine. Dans une île lointaine et fantastique, où nul bruit discordant ne peut troubler ses sereines méditations, quelques « fidèles » viennent, prosternés dans une pieuse adoration, recueillir de ses lèvres les oracles sibyllins. Et parmi les agitations de la vie ses paroles les accompagnent comme de précieux talismans, ses messages leur découvrent les plus intimes profondeurs d’eux-mêmes, son image toujours présente les pénètre d’une religieuse ferveur.

Le type de « l’homme haut », du « désincarné » sublime, n’était pas une fiction éclose dans le cerveau d’un romancier isolé ; il était une des manifestations littéraires de l’idéalisme inquiet et maladif, tout ensemble mystique et voluptueux, où se complaisait la nouvelle génération.[1] Au sein même de la société rationaliste du 18me siècle se préparait une de ces crises chroniques, épidémiques, de mysticisme, que de nombreux symptômes annonçaient déjà. On pourrait y voir

  1. Du type de « l’homme haut », créé par Jean Paul, on pourrait encore rapprocher celui de la « femme haute », qu’on retrouve dans le roman de Clemens Brentano, Godwi, sous les traits d’Annonciata. Elle aussi est une esthousiaste de la mort. « J’ai conclu dès ma jeunesse une alliance avec la mort », dit-elle, « et je suis entrée avec elle en un commerce intime d’amitié, afin qu’un jour elle s’approche de moi comme une compagne de jeu, lorsqu’elle viendra… » etc. (Clem. Brentano, Gesammelte Schriften, T. V, p. 310).