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Page:Spenlé - Novalis.djvu/85

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UN SUICIDE PHILOSOPHIQUE

choses spirituelles deviennent pour nous sensibles… dans la mesure où l’homme extérieur meurt, l’homme intérieur renaît. »[1] Arrivés au dernier degré de l’initiation les néophytes pouvaient « communiquer par la pensée avec les ombres des défunts, avec les Esprits qui les renseignaient sur le monde avenir, sur leurs destinées terrestres et d’outre-tombe. »[2]

Ces ambiances expliquent en partie le succès des premiers romans de Jean Paul, aujourd’hui presqu’indéchiffrables. Sur Novalis la lecture de la « Loge invisible » avait produit une impression profonde. La psychologie de « l’homme haut » répondait à ses plus secrètes aspirations, entretenues et renforcées déjà par l’éducation piétiste. Il voudrait voir, dit-il, son frère Charles « élevé par principe à une hauteur inconnue » et, en pleines fiançailles, rêve de s’affranchir du « monde temporel ». Érasme, qui admirait lui aussi la « Loge invisible » et la psychologie de l’Homme haut, crut cependant devoir faire quelques réserves prudentes. « J’ai lu la Loge invisible, écrit-il, et je l’ai trouvée en son genre aussi extraordinaire que tu disais, mais, » ajoute-t-il sagement, « c’est plutôt un livre pour phtisiques et pour malades que pour hommes robustes et actifs. Ne me le prends pas en mal, mais le ton de ta lettre était tel qu’on l’aurait cru adressée à un « homme haut » — tu te rappelles la définition, dans la Loge invisible — ; et nous autres mortels chez qui nul artifice n’a pu opérer la déflogistication, habitués que nous sommes à notre grossière alimentation terrestre, nous ne digérons pas cette nourriture raffinée et risquons de nous y gâter l’estomac. »[3] Non seulement Novalis avait lu et admiré les premiers romans de Jean Paul, mais, s’il faut en croire son biographe et ami Just, il avait engagé à ce propos une correspondance suivie avec l’auteur.[4] On a

  1. Hippel, Kreuz und Quer Züge des Ritters A bis Z, Berlin. 1793, Tome I p. 84.
  2. Ibid p. 67
  3. Nachlese, op. cit., p 88-89.
  4. Novalis Schriften, Édition Tieck, III, p. 12.