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Page:Spenlé - Novalis.djvu/88

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NOVALIS

tif, depuis longtemps connu, et quand elle se tiendra devant moi : je rêvais de toi, je rêvais que sur la terre je t’aimais ; ton image corporelle était à la ressemblance ; tu mourus ; — une courte minute d’angoisse se passa, et je le suivis. »[1]

Mais l’idée-fixe, chez le mystique, n’est pas purement passive. Elle se confond avec la foi, c’est-à-dire qu’elle provoque un travail de continuelle auto-suggestion. De là tout une dramatisation de l’idée passionnelle à laquelle nous fait assister le Journal intime de Novalis. Il mourra, il le sait, il en a, comme Emmanuel, la foi indéracinable, au commencement de l’automne. « J’attends l’automne avec une impatience joyeuse… Je veux mourir joyeux, comme un jeune poète. » À la date du 29 juin il écrit encore : « Garde toujours Sophie devant tes yeux. — n’oublie pas le court intervalle de trois mois. »[2] Telle est la foi qui le soutient, la pensée qui passionne son imagination, dont il fait le point de départ de toute sa nouvelle philosophie. Avec une volupté non dissimulée il analyse les progrès quotidiens qu’il croit accomplir dans le lent détachement, dans la désincarnation intégrale de son meilleur Moi. Comme à présent il domine de haut la vie, avec ses joies mesquines et ses occupations triviales ! « Les hommes se paraissent les uns aux autres plus indispensables qu’ils ne sont. En somme je nourris dans mon cœur l’espoir joyeux de me dégager plus aisément que je ne croyais. Ma mère jouit peu de moi, mon père pareillement. Mes frères et sœurs, surtout les aînés, apprendront à se passer de moi. Bref, ma disparition ne fera pas l’impression profonde que je redoutais. » Nous voici bien loin de cette « vocation pour le foyer familial », qu’il annonçait quelques années auparavant à sa mère en termes enthousiastes, lorsqu’il écrivait : « Mes frères et mes sœurs ont besoin après la mort de mon père d’un second père. Cette vocation du foyer familial est tout-à-fait la mienne ! »

  1. Novalis Schriften, Édition Tieck, II, p. 294-295.
  2. N. S. I, p. 285 et p. 288.