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Page:Spenlé - Novalis.djvu/89

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UN SUICIDE PHILOSOPHIQUE

Cependant il ne suffit pas que l’idée passionnelle soit dominante, il faut qu’elle devienne unique, exclusive, qu’elle concentre sur elle toute l’attention, tout l’intérêt du poète. « Mon amour », écrivait-il, « est devenu une flamme qui consume peu à peu toute impureté terrestre ». Telle est aussi la discipline morale qu’il doit systématiquement s’imposer. « Il faut que je ne vive plus que pour Elle, que je n’existe qu’à cause d’Elle, non pour moi ni pour personne d’autre. Elle est ce qu’il y a de plus haut, la Chose unique. Mon occupation principale doit être de mettre tout en rapport avec cette idée. » Avec quelle inquiétude il surveille chaque regain de vie, se reproche d’apporter trop de chaleur, trop d’intérêt à une discussion, se fait honte des éveils de sa sensualité, qu’il ne réussit pas toujours à maîtriser !

Ce sont là des faiblesses coupables, presque des trahisons à l’égard de sa vocation « supérieure ». « Faut-il donc que je ne puisse toujours pas m’habituer à mon projet ! Si ferme qu’il me paraisse, j’éprouve cependant de la méfiance à le voir devant moi, dans un lointain si inaccessible, avec un aspect si étrange. » Il se fait honte de son incrédulité, comme d’une lâcheté, d’une infidélité. « Il ne faut pas que je me mette à faire le raisonneur, en ce qui touche mon projet. Tout raisonnement, tout mirage du cœur est déjà du doute, de l’indécision, de l’infidélité. » Par des images et des attitudes pathétiques ! il s’efforce de réchauffer sans cesse son enthousiasme languissant. « Près de la tombe j’eus l’idée que par ma mort je donnais à l’humanité la preuve d’une fidélité jusque dans la tombe. Je lui rendais une pareille fidélité en quelque sorte possible ». Ou encore : « Ma mort doit être le témoignage de mes convictions les plus hautes, une vraie immolation, — non pas une fuite ni un échappatoire ».

« Que Hardenberg se tue », écrivait Frédéric Schlegel à son ami Schleiermacher, « je ne le crois pas, précisément parce qu’il le veut de propos délibéré et en fait le principe de toute sa philosophie ». De pareilles résolutions, à sup-