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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/179

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DELPHINE.

pas essayé de vous justifier à ses yeux ! On dirait que vous devenez plus faible quand il se montre plus injuste ; vainement vous vous faites illusion en m’assurant que ce n’est point l’amour, mais la fierté, mais le sentiment de votre dignité blessée, qui ne vous permet pas de supporter qu’il se croie le droit de vous offenser, en parlant, en pensant mal de vous. Voulez-vous savoir la vérité ? La lettre de Léonce vous cause une douleur plus vive que toutes celles que vous aviez ressenties, et vous n’avez plus la force de vous y résigner. Ce n’est pas tout encore : en revoyant ce redoutable Léonce, votre sentiment pour lui s’est ranimé, et peut-être, pardonnez-moi de vous le dire, il le faut pour vous éclairer sur vous-même, peut-être avez-vous aperçu qu’il avait éprouvé près de vous une émotion profonde, et qu’un plus long entretien le ramènerait à vos pieds. Pardon encore une fois, votre cœur ne s’est pas rendu compte de ses impressions ; mais pensez à l’irréparable malheur d’exciter dans le cœur de Léonce une passion qui lui inspirerait sans doute de l’éloignement pour Mathilde !

Delphine, souvenez-vous que, dans vos conversations avec mon frère, vous répétiez souvent que la vertu dont toutes les autres dérivaient, c’était la bonté, et que l’être qui n’avait jamais fait de mal à personne était exempt de fautes au tribunal de sa conscience. Je le crois comme vous, la véritable révélation de la morale naturelle est dans la sympathie que la douleur des autres fait éprouver ; et vous braveriez ce sentiment, vous, Delphine ! Je ne raisonnerai point avec vous sur vos devoirs ; mais je vous dirai : Songez à Mathilde ; elle a dix-huit ans, elle a confié son bonheur et sa vie à Léonce : abuserez-vous des charmes que la nature vous a donnés, pour lui ravir le cœur que Dieu et la société lui ont accordé pour son appui ! Vous ne le voulez pas ; mais que d’écueils dans votre situation, si vous n’avez pas le courage de quitter Paris et de revenir auprès de moi !

Je songe aussi avec inquiétude que cette madame de Vernon, dont la conduite est si compliquée, quoique sa conversation soit si simple, est la seule personne qui ait du crédit sur vous à Paris : pourquoi ne répondez-vous pas à l’empressement que madame d’Artenas a pour vous depuis que vous avez rendu service à sa nièce madame de R. ? Elle m’a écrit plusieurs l’ois qu’elle désirerait se lier plus intimement avec vous ; je sais que, quand elle vint nous voir à Montpellier, à son retour de Baréges, vous ne me permettiez pas de la comparer à madame de Vernon. Elle est certainement moins aimable ; elle n’a pas surtout cette