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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/180

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DEUXIÈME PARTIE.

apparence de sensibilité, cette douceur dans les discours, cet air de rêverie dans le silence, qui vous plaisent dans madame de Vernon ; mais son caractère a bien plus de vérité : elle a une parfaite connaissance du monde ; je conviens qu’elle y attache trop de prix, et que, si elle n’avait pas vraiment beaucoup d’esprit, l’importance qu’elle met à tout ce qu’on dit à Paris pourrait passer pour du commérage : néanmoins personne ne donne de meilleurs conseils, et, soit vertu, soit raison, elle est toujours pour le parti le plus honnête.

Ne vous refusez pas à l’écouter : vous ne lui parlerez pas, je le comprends, des sentiments qu’on ne peut confier qu’à des âmes restées jeunes ; mais elle vous donnera des avis utiles, tandis que madame de Vernon, qui ne cherche qu’à vous plaire, ne songe point à vous servir.

Je vous en conjure aussi, ma chère Delphine, continuez à ne rien me cacher de tout ce qui se passe dans votre cœur et dans votre vie ; vous avez besoin d’être soutenue dans la noble résolution de partir. Croyez-moi, dans cette occasion, si la passion ne vous troublait pas, quel être sur la terre serait assez présomptueux pour comparer sa raison à la vôtre ? Mais vous aimez Léonce, et je n’aime que vous ; confiez-vous donc sans réserve à ma tendresse, et laissez-vous guider par elle.

LETTRE XIII. — MADAME D’ARTENAS À MADAME DE R.
Paris, ce 1er septembre 1798.

Revenez donc à Paris, ma chère nièce ; vous avez pris cette année trop de goût pour la solitude ; depuis cette malheureuse scène des Tuileries, vous êtes triste ; je voulais bien que vous sentissiez un peu la nécessité d’en croire mes conseils, mais je serais bien fâchée que votre caractère perdit sa gaieté naturelle.

J’ai enfin rencontré chez elle madame d’Albémar, que vous m’aviez chargée de voir, et que je rechercherais volontiers pour moi-même, tant je la trouve aimable et bonne. J’aurais désiré qu’elle me parlât avec confiance sur sa situation actuelle ; mais madame de Vernon possède seule toute son amitié, et je doute fort cependant qu’elle en fasse un bon usage. J’ai trouvé madame d’Albémar triste, et surtout fort agitée ; elle avait l’air d’une personne tourmentée par une indécision cruelle ; il était neuf heures du soir, elle était encore vêtue de sa robe du