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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/181

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DELPHINE.

matin, ses beaux cheveux n’avaient point encore été rattachés ; à l’extérieur négligé de sa personne, à sa démarche lente, à sa tête baissée, l’on aurait dit que depuis longtemps elle n’avait rien fait que songer à la même pensée et souffrir de la même douleur.

Dans cet état cependant, elle était jolie comme le jour, et je ne pus m’empêcher de le lui dire. « Moi, jolie ! me répondit-elle, je ne dois plus l’être. » Et elle se tut. Je voulais apprendre d’elle quelles sont à présent ses relations avec M. de Serbellane ; on rapporte à ce sujet des choses très-diverses dans Paris : les uns disent qu’elle ne part pour le Languedoc que pour aller de là rejoindre M. de Serbellane, s’il n’obtient pas, à cause de son duel, la permission de revenir en France ; d’autres murmurent tout bas que madame d’Albémar a été fort coquette pour M. de Mondoville, et que M. de Serbellane, irrité, s’est brouillé tout à fait avec elle ; enfin une lettre de Bordeaux m’avait fait naître une idée très-différente de toutes celles-là, et je l’avais gardée jusqu’à présent pour moi seule : je pensais qu’il se pourrait bien que M. de Serbellane fût l’amant de madame d’Ervins, et que madame d’Albémar les ayant réunis tous les deux chez elle un peu indiscrètement, M. d’Ervins les y eût surpris, et se fût battu avec M. de Serbellane pour se venger de l’infidélité de sa femme.

J’essayai de provoquer la confiance de madame d’Albémar, en lui disant ce qui était vrai, c’est que je voyais avec peine que les différents bruits qui se répandaient dans Paris sur son compte pouvaient nuire à sa réputation. Elle me répondit avec un découragement qui me toucha beaucoup : « Il fut une époque de ma vie dans laqu’elle j’aurais attaché de l’importance à ce qu’on pouvait dire de moi ; mais à présent que mon nom ne doit plus être uni à celui de personne, je ne m’inquiète plus de l’injustice dont ce nom peut être l’objet. » Ces paroles me persuadèrent qu’elle était en effet brouillée avec M. de Serbellane ; et comme je commençais à lui donner des consolations douces sur la peine qu’elle devait en éprouver, elle m’arrêta pour me demander de m’expliquer mieux, et lorsque je l’eus fait, elle eut l’air étonné ; mais, sans y mettre un intérêt très-vif, elle me déclara qu’elle n’avait jamais pensé à épouser M. de Serbellane.

Le soupçon que j’avais fondé sur madame d’Ervins me revint à l’instant, et je le dis à Delphine, en lui avouant que je regardais dans ce cas madame d’Ervins comme la véritable cause de la mort de son mari. Delphine ne m’eut pas plutôt comprise que, se relevant de l’abattement où je l’avais vue jusqu’alors,