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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/264

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DEUXIÈME PARTIE.

vous blâmais de vos vertus, que je vous abandonnais à cause de vos malheurs. J’ai des défauts ; on s’en est servi pour donner quelque vraisemblance à la conduite la plus cruelle envers l’être le plus aimable et le plus doux. Ce n’est pas tout encore : un obstacle de fortune me séparait de Mathilde ; cet obstacle est levé par Delphine, l’exemple d’une générosité sans bornes, la victime d’une ingratitude sans pudeur. On me laisse ignorer ce service, on la punit de l’avoir rendu ; tout est mystère autour de moi, je suis enlacé de mensonges ; et quand j’apprends que je suis aimé, que je l’ai toujours été (dit-il d’un ton de voix qui déchirait le cœur), je suis lié, lié pour jamais ! Je la vois, cet objet de mon amour, de mon éternel amour ; elle tend les bras vers son malheureux ami ; tout son visage porte l’empreinte de la douleur, et je ne puis rien pour elle ! et je l’ai repoussée, quand elle se donnait à moi, quand elle versait peut-être des larmes amères sur ma perte ! Et c’est vous, répéta-t-il en interpellant madame de Vernon, c’est vous !…

L’inexprimable angoisse de cette malheureuse femme me faisait une pitié profonde ; Delphine, qui en souffrait plus encore que moi, s’écria : « Léonce, arrêtez, arrêtez ! un accident funeste l’a mise au bord de la tombe : si vous saviez, depuis ce temps, par combien de regrets touchants et sincères elle a tâché de réparer la faute que l’amour maternel l’avait entraînée à commettre ! — Elle sera bien punie, s’écria Léonce, si c’est sa fille qu’elle a voulu servir ; elle se reprochera son malheur comme le mien. Rompez, femme perfide, dit-il à madame de Vernon, rompez le lien que vous avez tissé de faussetés ! rendez-moi ce jour, le matin de ce jour où je n’avais pas entendu votre langage trompeur, où j’étais libre encore d’épouser Delphine, rendez-le-moi ! — Oh ! Léonce ! répondit madame de Vernon, ne me poursuivez pas jusque dans la mort, acceptez mon repentir. — Revenez à vous-même, interrompit Delphine en s’adressant à Léonce ; voyez l’état de cette infortunée ; pourriez-vous être inaccessible à la pitié ? — Pour qui de la pitié ? reprit-il avec un égarement farouche, pour qui ? pour elle ? Ah ! s’il est vrai qu’elle se meure, faites que le ciel m’accorde de changer de sort avec elle ; que je sois sur ce lit de douleur, regretté par Delphine, et qu’elle porte à ma place les liens de fer dont elle m’a chargé ; qu’elle acquitte cette longue destinée de peines à laquelle sa dissimulation profonde m’a condamné ! — Barbare ! s’écria Delphine, que faut-il pour vous attendrir, pour obtenir de vous une parole douce qui console les derniers