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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/319

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DELPHINE.

petite fille de huit ans. Il se leva à notre arrivée ; sa femme s’approcha de lui aussitôt et lui donna le bras pour avancer vers nous. Nous nous aperçûmes alors qu’il était aveugle ; mais sa figure avait conservé de la noblesse et du charme, malgré la perte de la vue ; il régnait dans tous ses traits une expression de calme qui en imposait à la pitié même.

Delphine, dont le cœur est si accessible aux émotions de la bonté, se troubla visiblement, malgré ses efforts pour le cacher. Elle fit une question à madame de Belmnont sur les motifs de son départ du Languedoc. « Un procès que nous avons perdu, M. de Belmont et moi, nous a ruinés tout à fait, répondit-elle ; j’avais été déjà privée de la moitié de ma fortune, parce qu’une tante m’avait déshéritée à cause de mon mariage. Il ne nous reste plus, à mon mari, mes deux enfants et moi, que quatre-vingts louis de rente ; nous avons mieux aimé vivre dans un pays où personne ne nous connaissait que de nous trouver engagés à conserver, sans fortune, nos anciennes habitudes de société. Ce climat, d’ailleurs, convient mieux à la santé de mon mari que les chaleurs du Midi ; et depuis quinze jours que nous sommes ici, nous nous y trouvons parfaitement bien. »

M. de Belmont prit la parole pour se féliciter de connaître une personne telle que madame d’Albémar ; il s’exprima avec beaucoup de grâce et de convenance, et sa femme, se rappelant avec plaisir qu’elle avait vu madame d’Albémar encore enfant chez ses parents, lui parla de leurs relations communes avec une simplicité et une sérénité parfaites. Je la regardais attentivement, et je ne voyais-pas dans toute sa manière la moindre trace d’une peine quelconque ; elle ne paraissait pas se douter qu’il y eût rien dans sa situation qui pût exciter un intérêt extraordinaire, et fut longtemps sans s’apercevoir de celui qu’elle nous inspirait.

Son mari voulut nous montrer son jardin ; il donna le bras à sa femme pour y aller : elle paraissait avoir tellement l’habitude de le conduire, que, pendant un moment qu’elle le remit à Delphine pour aller donner quelques ordres, elle marchait avec inquiétude, se retournait plusieurs fois, et paraissait, non pas troublée, c’est une personne trop simple pour s’inquiéter sans motif, mais tout à fait déshabituée de faire un pas sans servir de guide à son mari.

M. de Belmont nous intéressait à tous les instants davantage par son esprit et sa raison ; nous le ramenâmes plusieurs fois à parler de ses occupations, de ses intérêts ; il nous répondit toujours avec plaisir, paraissant oublier complètement qu’il