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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/574

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SIXIÈME PARTIE.

emporter au tombeau : n’attribuez point mes défauts à ma religion, elle n’a pu les corriger tous ; mais, sans elle, ils auraient fait mon malheur et celui des autres ; c’est elle qui m’inspire la force de quitter avec courage ce que Dieu même me permettait d’appeler le bonheur, une union intime avec le seul homme que j’aie aimé sur la terre. » Ces derniers mots touchèrent Léonce ; Mathilde s’en aperçut, et lui prenant la main : « Croyez-moi, lui dit-elle, ce cœur n’était pas si froid que vous le pensiez ! mais ne fallait-il pas l’habituer à la contrainte ? la vie religieuse est une œuvre d’efforts, et l’entraînement trop vif vers les penchants les plus purs détourne l’âme de son Dieu. »

Trois jours après cette conversation, Mathilde, se sentant tout à fait mal, voulut causer seule avec Léonce pour lui confier tout ce qui s’était passé entre elle et madame d’Albémar ; elle remit à son mari la lettre qu’elle avait reçue de Delphine, et qui exprime si noblement tous les sentiments généreux de cette âme angélique. Léonce, qui avait toujours conservé une sorte de ressentiment du départ de Delphine, éprouva l’émotion la plus vive en en apprenant la cause ; et, malgré tous ses efforts, il lui fut impossible, m’a-t-il avoué, de cacher à Mathilde l’admiration qu’il éprouvait pour la conduite de madame d’Albémar. « Vous l’aimez, lui dit Mathilde avec douceur, vous l’aimez encore ! et je meurs. Eh bien, avouez donc que Dieu me protège ! Croyez en lui, Léonce, et ne rendez pas inutiles les prières que je fais pour vous. » Ces mots si sensibles causèrent un remords douloureux à Léonce ; il se jeta au pied du lit de Mathilde, et couvrit sa main de larmes. Mathilde reprit de la force ; son cœur était satisfait de l’attendrissement de Léonce. « Vous épouserez madame d’Albémar, continua-t-elle ; c’est une âme sensible et généreuse ; mais je pense avec peine que votre bonheur, à l’un et à l’autre, est bien dépendant des hommes et des circonstances. L’honneur est votre guide, le sentiment est le sien ; mais vous n’avez point en vous-même un appui qui vous réponde de votre sort : prenez-y garde, Léonce, Dieu veut être notre premier ami, notre seul maître, et la soumission entière à sa volonté est l’unique moyen d’être affranchi de tout autre joug. Léonce, ajouta-t-elle d’une voix émue, Léonce, je voudrais emporter l’idée que vous serez heureux, mais je crains bien que vous n’en ayez pas pris la route. Si je pouvais obtenir de vous que vous élevassiez notre enfant dans mes principes ! Mais, hélas ! ce pauvre enfant ! qui sait s’il vivra ? Il sera bientôt peut-être un ange dans le sein de