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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/573

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DELPHINE.

en lui parlant, m’a dit M. de Lebensei, la résistance de l’entêtement, comme un obstacle physique sur lequel la force des raisonnements ne peut rien.

Quel triste spectacle cependant que cette altération du jugement, cette folie véritable, revêtue des formes les plus froides et les plus régulières ! Léonce est au désespoir surtout pour son fils. J’espère qu’il triomphera de la résistance de Mathilde ; elle l’aime, c’est le seul sentiment qui ait sur elle un pouvoir indépendant de sa volonté. M. de Lebensei ne quitte pas Léonce ; il ne se montre pas toujours à Mathilde, mais il est habituellement dans la chambre de M. de Mondoville, pour le soutenir et le consoler. Léonce, depuis huit jours, n’a pas prononcé le nom de madame d’Albémar. J’aime ce respect et cette pitié pour la situation de sa femme. Jamais cependant, je crois, il ne fut plus occupé de Delphine ! Agréez, mademoiselle, mes tendres hommages.

LETTRE IV. — M. DE LEBENSEI À MADEMOISELLE D’ALBÉMAR.
Paris, ce 21 juillet 1792.

Hier la femme de Léonce a cessé de vivre ! c’est vous, mademoiselle qui l’apprendrez à madame d’Albémar. Je ne puis me refuser à vous exprimer la pitié que j’ai ressentie pour les derniers moments de cette jeune Mathilde ; je suis sûr que votre noble amie, loin de me blâmer, la partagera.

Depuis un mois, l’opiniâtreté de madame de Mondoville avait révolté tout ce qui l’entourait. Léonce surtout, inquiet pour son enfant, et ne sachant quel parti prendre, entre la crainte de réduire Mathilde au désespoir et le danger de son fils, n’avait cessé de montrer à Mathilde un sentiment contenu, mais très-blessé, lorsqu’il y a quatre jours une nuit plus alarmante que toutes les autres convainquit Mathilde de son état ; elle fit venir Léonce, et, lui remettant son fils entre les bras, elle lui dit : « Il se peut que j’ai eu tort de vous résister si longtemps ; mais les opinions que je vous opposais exercent un tel empire sur moi, que je leur sacrifie sans regret, à vingt ans, une vie que vous rendiez heureuse. Pardonnez, si votre volonté n’a pas d’abord obtenu ce que je ne faisais pas pour la conservation de ma propre existence. Je crains que la roideur de mon caractère ne vous ait donné de l’éloignement pour la religion que je professe. ; ce serait la pensée la plus amère que je pusse