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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/605

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DELPHINE.

Dieu que tu méconnais ; je me sens mourir. » En effet, j’en éprouvais alors l’espérance. « Tu meurs, reprit Léonce, et tu aurais vécu pour moi, tu aurais été ma femme ! viens à l’autel, viens à l’instant même ; quand je te posséderai, je serai dans l’ivresse, je ne sentirai rien que mon bonheur ; suis-moi, décidons dans ce moment de notre vie : il est des résolutions qu’il faut prendre avec transport ; ne laissons pas aux réflexions amères le temps de renaître ! livrons-nous à l’amour qui nous inspire, ne laissons pas le froid de la pensée nous gagner ; je t’en conjure, n’hésite plus, ne tarde plus. — Insensé que vous êtes ! interrompis-je ; quel bonheur maintenant pourrais-je goûter avec vous ? Si j’avais découvert un seul regret dans votre coeur, il eût suffi pour empoisonner ma vie ; et j’oublierais les atroces combats que je viens de voir, je les oublierais ! Je fais devant toi, lui dis-je avec force, un serment plus sacré que tous ceux que je voulais rompre, car il est libre, car il est fait dans toute la force de ma raison : que le ciel me fasse périr à tes yeux, si jamais je suis ton épouse ! — Eh bien ! s’écria Léonce, que je perde et ton amour et jusqu’à ta pitié, si je survis à cette imprécation ! » Et il voulut sortir à l’instant.

Épouvantée de son dessein, je me jetai à genoux pour le conjurer de rester ; il fut ému à cet aspect, la pâleur mortelle de mon visage le toucha ; il me prit dans ses bras, et me dit d’une voix plus douce : « Pourquoi t’affligerais-tu de ma perte ? ne vois-tu pas que nous avons flétri notre sentiment, que je t’ai offensée, que tu dois me haïr, que je déteste ma faiblesse, et que je ne puis en guérir ? Tout est contraste, tout est douleur dans mon existence, laisse-moi mourir ! la fièvre intérieure qui m’agite cessera par degrés, quand mes forces m’abandonneront ; mais j’ai trop de vie encore, et les hommes, les hommes savent si bien irriter la puissance de la douleur ! Comment se venger de ce qu’ils font souffrir ? comment satisfaire le mouvement de rage qu’ils excitent ? « Dans ce moment, un régiment passa sous mes fenêtres, et une musique militaire très-belle se fit entendre. Léonce, en l’écoutant, releva la tête avec une expression de noblesse et d’enthousiasme si imposante et si sublime, qu’oubliant toutes mes douleurs, encore une fois je m’enivrai d’amour en le regardant. Il devina mes sentiments ; et, laissant tomber sa tête sur mes mains, je les sentis inondées de ses pleurs. La musique cessa ; Léonce, paraissant alors avoir retrouvé du calme, me dit : « Mon âme est plus tranquille ; il m’est venu d’en haut, de l’intelligence céleste qui veille sur toi, un secours véritablement salutaire ; adieu, mon