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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/606

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SIXIÈME PARTIE.

amie, j’ai besoin de repos ; à demain. — À demain, répétai-je. — Oui, répondit-il, adieu ! » Et il me quitta sans rien ajouter. Il n’a point voulu me dire quels sentiments l’avaient occupé pendant qu’il écoutait cette musique. Aurait-elle réveillé dans son âme le dessein, d’aller à la guerre ? Ah Dieu ! dans quelle situation mes malheurs et mes fautes m’ont précipitée ! Demain je veux annoncer à Léonce que je retourne dans mon couvent, que je m’y renferme pour toujours ; il saura demain que je lui pardonne, que je le conjure de m’oublier ; oui, demain,… Ah ! qu’arrivera-t-il ? …

LETTRE XVIII. — LÉONCE À DELPHINE.
Ce 8 septembre 1792.

En remontant chez moi, j’ai appris les massacres qui ont ensanglanté Paris ; tout est douleur, tout est crime ! Qui a pu se flatter d’être heureux dans ce temps effroyable ? Ne vois-tu pas dans l’air quelque chose de sombre, quelques signes avant-coureurs des événements funestes ? Non, je ne te reverrai plus ; écoute-moi… que vais-je te dire ? Je pars ; eh bien, tu le sais… n’entends-tu pas le reste ?…

Notre situation était horrible, je rougissais de mes faiblesses sans pouvoir on triompher ; tout était bouleversé dans nos rapports ensemble. Je te repoussais, toi que j’adore, je repoussais le bonheur sans lequel je ne puis vivre ; la douleur allait faire de moi le plus méprisable insensé, lorsque hier, en écoutant cette musique qui rappelait les combats, je me suis senti ranimé. J’ai su depuis d’affreuses nouvelles, elles ont achevé de me décider. Dans les combats, les hasards m’appartiennent ; et je saurai, quand je voudrai, les diriger sur ma tête. Non, ce n’est qu’au milieu de la guerre que je pouvais supporter la douleur de te quitter ; c’est là que la mort toujours facile, toujours présente, vous aide à supporter quelques derniers jours de vie consacrés à la gloire ; c’est là que j’éprouverai des mouvements qui soulagent le désespoir même, le sang qu’on doit verser, le péril qui vous menace, l’horreur qui vous environne, et tous ces cris de haine qui suspendent pour un temps les douleurs de l’amour ; je serai bien tant que le glaive sera levé sur moi ; je serai mieux encore quand il aura pénétré jusqu’à mon cœur.

Ô mon amie ! ne crois pas que ma passion pour toi se soit