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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/69

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DELPHINE.

soler mon amie, j’entrai chez elle ; je la trouvai plus calme que je ne l’espérais. M. Barton gardait le silence. Mathilde se contenait avec quelque effort. Madame de Vernon vint à moi et m’embrassa. Je voulus m’approcher de Mathilde ; je la vis rougir et pâlir ; elle me serra la main amicalement, mais elle sortit de la chambre à l’instant même, se faisant un scrupule, je crois, d’éprouver ou de montrer aucune émotion vive.

Madame de Vernon me dit alors : « Imaginez que dans ce moment même je viens de recevoir une lettre de madame de Mondoville, pour m’apprendre son consentement au mariage, d’après les nouvelles propositions que je lui avais faites ! Elle m’annonce en même temps le départ de son fils. » Je serrai une seconde fois madame de Vernon dans mes bras, et Enfin, me dit-elle avec le courage qui lui est propre, occupons-nous de hâter le départ de M. Barton, et soumettons-nous aux événements. — Il n’y a rien à faire pour mon voyage, dit M. Barton avec un accent qui exprimait, je crois, une humeur un peu injuste sur le calme apparent de madame de Vernon ; madame d’Albémar a bien voulu pourvoir à tout, et je pars. — C’est très-bien, répliqua madame de Vernon, qui s’aperçut du mécontentement de M. Barton ; et, s’adressant à moi, elle me dit comme à demi-voix : — Quel zèle et quelle affection il témoigne à son élève ! » Vous avez remarqué quelquefois que madame de Vernon avait l’habitude de louer ainsi, comme par distraction et en parlant à un tiers ; mais le malheureux Barton n’y donna pas la moindre attention ; il était bien loin de penser à l’impression que sa douleur pourrait produire sur les autres. S’il lui était resté quelque présence d’esprit, c’eût été pour la cacher et non pour s’en parer.

Absorbé dans son inquiétude, il sortit sans dire un mot à madame de Vernon. Je le suivis pour le conduire chez moi, où il devait trouver tout ce qui lui était nécessaire pour sa route. Lorsque nous fûmes en voiture, il dit en se parlant à lui-même : « Mon cher Léonce, vos seuls amis, c’est votre malheureux instituteur ; c’est aussi votre pauvre mère. » Et se retournant vers moi : « Oui, s’écria-t-il, j’irai nuit et jour pour le rejoindre ; peut-être me dira-t-il encore un dernier adieu, et je resterai près de sa tombe pour soigner ses derniers restes, et mériter ainsi d’être enseveli près de lui. » En disant ces mots, cet infortuné vieillard se livrait à un nouvel accès de désespoir. « Madame, me dit-il alors, devant vous je pleure ; tout à l’heure j’étais calme : votre bonté ne repoussera pas cette