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Page:Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone, trad Loreau, 1884.djvu/90

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C’était à quatre pattes, le nez à terre, comme un limier flairant la piste, que j’étais forcé de marcher ; mon pauvre casque, breveté contre le soleil, devenant à chaque minute moins sortable, moins solide, et mes vêtements de plus en plus déguenillés. En outre, il y avait là une plante aux émanations fortes et âcres, dont les brins me fouettaient le visage et y produisaient une brûlure analogue à celle que le piment fait dans la bouche. Enfin l’air étouffé de cette jungle, un air moite et chaud, me suffoquait ; la sueur me coulait de tous les pores, trempant mes lambeaux de flanelle autant qu’aurait pu le faire une averse. Quand je fus dehors et que j’eus largement respiré, je me fis le serment de ne jamais retraverser le mur de ces fouillis d’épines, à moins de nécessité absolue.

Toutefois en regardant la scène qui se déployait devant moi, une vaste plaine, aux ondulations charmantes sous leur tapis de verdure, parsemée de bosquets, et entourée de bois majestueux, je ne pus m’empêcher, malgré mes plaies et mes haillons, de lui accorder le tribut d’éloges qu’elle méritait.

Chaque jour le pays grandissait dans mon estime. Tout d’abord je ne faisais qu’obéir à un ordre. Si désolante que fut la perspective, mon devoir était d’avancer ; j’avais la ferme intention de le remplir, mais sans regarder la route, persuadé que j’étais de n’y trouver qu’horreur et misères. À l’impression maladive que j’avais reçue du Voyage aux Grands Lacs, s’étaient joints les rapports de la colonie de Zanzibar ; et, pour moi, l’intérieur de l’Afrique n’était qu’un immense marécage, hanté par la fièvre, une sorte de fièvre jaune, qui, si elle ne me tuait pas, m’affaiblirait d’esprit et de corps jusqu’à l’idiotisme. Dans cette fondrière, que je voyais se dérouler sur un espace de deux cents milles, s’ébattaient des crocodiles et des hippopotames, des tortues, des lézards, des crapauds sans nombre. De ce chaos bourbeux, sortaient des miasmes empoisonnés, formant dans l’air un voile aussi lourd, aussi lugubre que le triste brouillard de Londres, inspirateur du suicide. Et au premier plan de ce sombre tableau, je voyais sans cesse Burton et Speke, en proie à la moukoungourou. Mais depuis que je marchais sur la terre africaine, le suaire dont je l’avais couverte avait disparu, l’horizon devenait de plus en plus brillant. Loin d’avoir à nous plaindre, mes compagnons et moi nous étions mieux en chair qu’au départ, et notre appétit continuait à être de premier ordre.

Le troisième jour, n’ayant pas de nouvelles de ma quatrième