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Page:Stendhal - De l’amour, II, 1927, éd. Martineau.djvu/123

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Beaucoup d’hommes en France parmi ceux qui ont six mille livres de rente, font leur bonheur habituel par la littérature sans songer à rien imprimer ; lire un bon livre est pour eux un des plus grands plaisirs. Au bout de dix ans ils se trouvent avoir doublé leur esprit, et personne ne niera qu’en général plus on a d’esprit moins on a de passions incompatibles avec le bonheur des autres[1]. Je ne crois pas que l’on nie davantage que les fils d’une femme qui lit Gibbon et Schiller auront plus de génie que les enfants de celle qui dit le chapelet et lit Mme de Genlis.

Un jeune avocat, un marchand, un médecin, un ingénieur peuvent être lancés dans la vie sans aucune éducation, ils se la donnent tous les jours en pratiquant leur état. Mais quelles ressources ont leurs femmes pour acquérir les qualités estimables et nécessaires ? Cachées dans la solitude de leur ménage, le grand livre de la vie et de la nécessité reste fermé pour elles. Elles dépensent toujours de la même manière, en discutant un compte avec leur cuisinière, les trois louis que leur mari leur donne tous les lundis.

  1. C’est ce qui me fait espérer beaucoup de la génération naissante des privilégiés. J’espère aussi que les maris qui liront ce chapitre seront moins despotes pendant trois jours.