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filosofia nova

tant de gens obéissent à ses ordres contre leur intérêt évident ?

Mais peut-être aussi avons-nous plus de plaisirs que les anciens républicains ; sommes-nous plus heureux ?

D’abord notre tête étant plus cultivée (sachant plus de vérités) nous avons des plaisirs en beaucoup plus grand nombre qu’eux, remarquant dans les choses beaucoup de petites circonstances qu’ils n’y remarquaient pas.

Le bonheur d’un homme dépend non pas de l’apparence qu’ont les choses aux yeux des sages, mais de l’apparence qu’elles ont à ses yeux.

Or qu’y a-t-il de plus heureux que le voluptueux Italien, qui aime la musique avec passion, qui aime aussi la peinture et la poésie, qui se livre avec transport au plaisir des femmes et qui a trente mille livres de rente et vingt-cinq ans ?

Je sais bien que ce bonheur est très rare, mais tous l’imaginent (suivant que leur tête est plus ou moins perfectionnée), tous le désirent, parviennent à espérer celui qu’ils se sont fait et cela les retient sous la servitude.

En supposant que Rome du temps de Mucius Scævola contînt deux cent mille habitants et qu’elle en contienne aussi deux cent mille aujourd’hui, ne pourrait-on