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Page:Stendhal - Pensées, II, 1931, éd. Martineau.djvu/284

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filosofia nova

On ne peut peindre[1] ce qu’on n’a pas senti. Car c’est dans les souvenirs que la passion a gravés dans la mémoire que l’amour de la gloire fait choisir ceux que la tête croit les plus propres à produire dans l’âme des spectateurs tel plaisir dont ils vous récompenseront par la gloire.

Mais au contraire on peut faire un canevas sur ce qu’on n’a pas senti. Alors on agit d’après des vérités qui n’ont jamais été évidentes pour la personne qui écrit. On pourrait donc distinguer dans un drame ce que l’auteur a senti et ce qu’il n’a pas senti. Chercher à acquérir ce tact.

Lire attentivement les tragédies de Voltaire, je suis presque convaincu qu’il n’avait senti que très peu des sentiments amoureux qu’il a peints, tandis que Prévost avait senti lui-même les sentiments qu’il donne à Manon et au chevalier des Grieux.

Peut-être est-ce la liaison des sentiments entre eux ou la manière dont les pensées les font naître, et dont ils font

  1. Ce fragment daté du 9 thermidor XII [28 juillet 1804] se trouve dans le dossier complémentaire des manuscrits de Grenoble R. 5896. N. D. L. É.