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Page:Stendhal - Pensées, II, 1931, éd. Martineau.djvu/33

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pensées

sur nous devient moins probable, ils perdent de l’odieux et gagnent du ridicule.

De manière que si j’ai habité quelque temps Lisbonne et que j’aie quitté cette ville pour n’y plus retourner, je rirai si à Paris un compagnon de mon séjour à Lisbonne m’expose le ridicule d’un des membres de notre société commune, tandis que s’il me l’avait exposé en nous promenant le long du Tage, j’aurais dit : « Qu’il est sot, qu’il est ridicule ! », mais cela sans rire, et très sérieusement. Et peut-être si le défaut avait été plus fort me serais-je écrié[1] : « C’est une âme basse, ou un homme sans éducation, ou un homme sans délicatesse, ou il n’a point d’usage » et par forme de conclusion j’aurais ajouté « avec qui l’on ne saurait plus vivre. »

Je vois deux sortes de ridicules possibles : 1o la peinture des défauts de Sganarelle qui ne sont nuisibles qu’à lui. 2o la peinture des défauts de Sganarelle qui sont nuisibles aux autres.

Voilà pourquoi les méprises, lorsqu’elles n’influent que sur le bonheur de l’homme qui se méprend, sont un moyen si aisé d’exciter le rire.

Si le principe ci-dessus est vrai, il s’ensuit que je ne suis pas si différent des

  1. Écrié est un mauvais mot dans nos mœurs. J’aurais dit avec force, et sans transition, tout à coup.