Aller au contenu

Page:Stendhal - Rome, Naples et Florence, III, 1927, éd. Martineau.djvu/130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On se raconte en détail le dîner qu’on a fait à l’ostéria, il y a quinze jours, ou l’on s’apitoie sur le sort d’un ami malade ; tout cela d’un air tranquille, heureux, posé, sans laisser le moindre sous-entendu dans les idées. Tandis que le Milanais entretient un ami, il fait de la main vingt signes de tendresse aux amis qui passent. À Venise, ce sont vingt signes plaisants ; tout est sous-entendu, vif, joyeux, allègre. Le fils du doge est aussi gai que le gondolier ; ses intrigues sont aussi publiques. En vous donnant des nouvelles de quelqu’un, on ne manque jamais de nommer la dame qu’il sert. Lorsqu’on cite une partie faite, il y a dix ans, à Fusina ou à l’île de Murano, on ne manque jamais de rappeler, même devant les maris, qu’alors la Peppina était servie par un tel ; que c’était l’époque où la Marietta était jalouse de Priuli, etc. ; à Venise et à Boston, la gaieté et le bonheur sont en raison inverse de la bonté du gouvernement[1].

La vue du bonheur produit le sourire ; c’est la vue soudaine d’un de nos avantages sur le voisin qui produit le rire. À mon grand étonnement, c’est le sourire

  1. On peut dire que le gouvernement ne passe dans les mœurs qu’au bout de cent ans. Boston sent encore les effets du hideux esprit de secte. Ce fut la première législation de l’Amérique.