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Page:Stendhal - Rome, Naples et Florence, III, 1927, éd. Martineau.djvu/83

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Quand le comte Neri est rentré, il nous a conté, entre cent traits d’originalité, de hauteur et d’ennui, que le comte Alfieri, ayant été présenté à madame d’Albany, à la galerie de Florence, remarqua qu’elle s’arrêtait avec plaisir devant un portrait de Charles XII : elle dit même que l’uniforme singulier de ce prince lui paraissait extrêmement bien. Deux jours après, Alfieri parut dans les rues de Florence exactement vêtu et coiffé comme le monarque suédois, à la grande consternation des paisibles habitants.

Le comte Neri, quoique soumis en apparence à toutes les faiblesses des mœurs italiennes, ou, pour parler clair (car pourquoi diable me gênerais-je ?), quoique le plus esclave des cavaliers serventi, et pour une femme qui le trompe assez souvent, est un philosophe. Probablement il en sait autant que nous sur sa maîtresse ; mais telle qu’elle est, avec tous ses défauts, c’est encore pour lui la femme la plus aimable de la terre, et rien ne pourrait remplacer le bonheur de passer avec elle huit heures de toutes ses journées : d’ailleurs, le mari est le meilleur garçon d’une ville qui est pleine de gens de ce caractère. Je comprends fort bien le bonheur du comte Neri, et, malgré la vanité française, j’échangerais volontiers mon sort contre