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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/100

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aise et tout espérance, je balançais dans l’air la corbeille vide que la fortune de la pêche allait, à son gré, remplir.

En suivant le cours de l’eau, mon père, aidé de mon page, y plaçait de loin en loin, entre les grosses racines des aulnes, auprès des trous pierreux, ses pêchettes. C’étaient de petites assiettes rondes, en mailles serrées, emmanchées d’une longue perche. Au milieu de l’assiette était attaché un morceau de viande crue, tentation irrésistible pour la gourmande écrevisse : l’effet ne tardait guère. D’abord une, puis deux, elles y venaient toutes. Dès qu’il les voyait enhardies et bien attaquées au festin, mon père, qui avait la main sur la perche, d’un mouvement prompt, tirait à lui la pêchette, avec les écrevisses consternées. La même opération se répétait de proche en proche, tout le long du ruisseau. Quelquefois mon père m’en chargeait. Mais hélas ! timide comme je l’étais, malhabile de mes mains, j’imprimais à la perche un mouvement faux, les écrevisses retombaient au courant de l’onde claire. Mon père riait très-fort ; et moi, confuse, j’admirais de plus en plus l’adresse et la grâce qu’il mettait à toute chose.

Au retour, l’opération magique d’Adelheid, qui transformait sur ses fourneaux la sombre carapace de l’écrevisse en manteau d’écarlate, terminait, à mon plus grand contentement, les plaisirs de la journée.