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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/102

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prussiens, s’était allée cacher au fond du bois pour y mettre bas sa portée. Elle avait pâti ; ses petits étaient morts l’un après l’autre, à l’exception d’une chienne, lorsqu’elle-même elle mourut. Comment l’orpheline abandonnée parvint à se nourrir, je ne le devine pas ; toujours est-il qu’un jour, passant non loin du fourré où elle se cachait, je l’en vis sortir et s’avancer, toute tremblante, jusqu’à une assez petite distance de moi. Je mangeais mon goûter : une tartine de pain et de beurre. La chienne était affamée, cela se voyait à ses yeux ardents, à son effrayante maigreur, qui, en d’autres temps, m’eût fait penser à la louve de Dante.

Elle n’osait pourtant venir jusqu’à moi pour prendre de ma main le morceau que je lui tendais. Je le lui jetai ; elle fondit dessus et le dévora, en s’enfuyant dans le plus épais du bois. Le lendemain, j’y revins en cachette, car c’était le grand bois, interdit dans les jours de semaine et où je ne devais jamais aller seule ; j’appelai à demi-voix : Diane ! je lui donnais le nom de sa mère, pensant probablement lui être agréable. Je n’attendis pas longtemps : la sauvage gardait bon souvenir de moi et de ma beurrée ; elle vint à ma voix ; mais elle ne voulut pas plus que la veille prendre son repas de ma main ; il me fallut encore le lui jeter, un peu moins loin cette fois ; elle me fit la politesse de le manger en ma présence, ce qui me rendit très-fière. Chaque jour je lis sur son effarouchement une conquête.