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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/136

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fil de fer que doublait une soie verte fanée. Cette armoire renfermait, sur des tablettes, un assez grand nombre de livres en petits formats très-variés, fort joliment reliés, mais dont aucun n’avait été choisi en vue d’une bibliothèque de demoiselle. Jamais on ne m’avait défendu de lire ces livres, mais quelque chose me disait qu’ils devaient m’être interdits. La première fois que je tournai la clef du placard, étant seule, dans la simple intention de regarder les titres des volumes, je fus prise de peur, et aussitôt, me figurant entendre ouvrir la porte du boudoir, je refermai précipitamment l’armoire et je me rassis à ma table, avec l’air d’écrire. Cette dissimulation fut toute d’instinct, et l’on m’aurait, à coup sûr, fort embarrassée, si l’on m’en tût demandé la cause, car je ne désobéissais à personne ; et quel mal pouvait-il y avoir d’ouvrir, pour regarder des titres de livres, une armoire dont la clef restait à la serrure ?

Le jour suivant je fus plus hardie ; sur le rayon le mieux à portée de ma main, je pris un volume, le plus petit, le plus joli ; je l’ouvris. Il avait une gravure en tête ; c’était le Diable amoureuxde Cazotte ; ç’aurait pu être pire. Un nouveau bruit me fit fuir, comme le rat de La Fontaine, avant que de goûter au mets friand. Mais j’y revins ; et bientôt, dans cet exercice répété de l’armoire à la table et de la table à l’armoire, toujours l’oreille au guet, j’acquis une fi-