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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/137

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nesse de l’ouïe, une prestesse des jambes extraordinaires. Un jour, fatiguée de me tenir debout près de l’armoire, je m’assis avec mon volume à la table où j’étais censée travailler. C’était bien plus commode et plus sûr. Au moindre mouvement de chaise que j’entendais au salon, je fourrais le volume dans le tiroir de mon pupitre, sous mes cahiers d’analyses ; et, trempant ma plume dans l’encre, j’achevais tant bien que mal la phrase commencée sur le premier empire des Assyriens ou sur les habitants de la Nouvelle-Zélande. Personne ne se doutait de rien ; et de la sorte, je lus pendant toute une saison une infinité de romans : Madame Cottin, madame de Genlis, madame Riccoboni, Anne Radcliffe, qui mirent en désarroi ma pauvre petite cervelle. Un jour, j’eus la mortification extrême de trouver la clef de l’armoire ôtée. On ne l’y remit plus. S’était-on aperçu de quelque chose ? C’est assez probable, mais j’ai dit qu’on ne me grondait jamais. Ma mère ou ma grand’mère s’étaient dit d’ailleurs peut-être qu’elles étaient, en ceci, les plus répréhensibles ; bref, tout le monde se tut. Je fus fort attrapée. Mais, privée de mes lectures, je n’en gardais que mieux dans ma mémoire les noms, les images, les aventures romanesques que j’y avais entassées depuis six mois. Je continuai, à part moi, de vivre dans la compagnie de belles princesses, dans des bosquets enchantés où l’on soupirait d’amour ; je ne rêvai plus que