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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/139

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tir jamais enfin, quelque chose qui pût arriver, à donner ma main ou mon cœur à d’autres qu’à mon doux ami. Ses parents, je l’avais entendu dire, n’avaient que peu ou point de fortune. Ce serait l’obstacle ; il en fallait un, sans cela point de roman. Je me dis que nos amours allaient être contrariées ; je me préparai à la lutte, et j’en fus toute réjouie. Mais cette joie d’avenir qui occupait toute ma pensée, je ne la communiquai à personne. J’y eus quelque vertu, car à cette époque je voyais très-familièrement deux aimables petites compagnes, pour qui je n’avais eu jusque-là aucun secret. Esther le Tissier, Adrienne de Bizemont étaient à peu près de mon âge, et leur éducation ressemblait beaucoup, sauf le germanisme, à celle qui m’était donnée. Elles habitaient avec leurs parents deux châteaux voisins du Mortier : la Bellangerie et Jallanges. On se réunissait règlement le dimanche dans l’un ou l’autre des trois châteaux, pour y passer ensemble toute la journée.

Durant les intervalles de nos jeux, dans nos babils, j’avais déjà parlé à mes compagnes de l’amour et de ce que j’en avais appris dans les livres ; mais je ne leur fis point confidence de ce que je m’imaginais en avoir éprouvé dans la réalité. Quand mon petit ami se trouvait avec ses parents aux réunions du dimanche, je voyais qu’il n’avait d’yeux que pour moi. Nous nous entendions sans nous parler. J’aurais craint,