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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/138

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ravisseurs, blancs palefrois, bergers fidèles. Je savais désormais que le parfait bonheur, c’était de voir à ses pieds un beau chevalier, qui jurait d’aimer toute la vie. Bientôt ce beau chevalier m’apparut dans la personne du jeune fils d’un hobereau de notre voisinage, qui comptait un ou deux ans de plus que moi, et qui dès l’abord charma mes yeux. Il avait nom Louis. Il était blond, blanc et rose; il montait un petit cheval breton à crinière flottante; il suivait la chasse, armé gentiment d’un petit fusil fait à sa taille. Un jour, il me rapporta une perdrix blanche qu’il avait tuée ; il me l’offrit galamment, d’un air fier et soumis. On le fit asseoira table à mes côtés ; on célébra son adresse ; on but à sa santé. Il ne me dit rien, ni moi à lui ; mais dans ce silence il sentit sans doute un encouragement, car, le lendemain, me voyant chercher un gant que je croyais avoir perdu à la promenade, il me dit qu’il l’avait trouvé dans le bois des Belles-Ruries et qu’il ne me le rendrait jamais. Il mentait comme tous les galants, car le gant se retrouva dans le jardin ; mais n’importe, c’était là, je l’avais bien vu dans mes romans, une déclaration d’amour. Je l’accueillis d’un cœur et d’une imagination prévenus. Je ne saurais me rappeler ce que je répondis. Peu de chose apparemment, mais, dans mon for intérieur, je me jurai à moi-même de n’être point ingrate envers un si bel amour, de ne m’en pas laisser distraire, de ne consen-