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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/191

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tivée en apparence, et qui n’avait pas, celle-là, pour motif les grâces naturelles.

Elle était née d’un penchant, très-fort aussi, mais tout à fait autre, de mon cœur.

Elle avait pour objet une jeune fille aussi laide que Fanny était belle, disgraciée de corps et d’esprit, autant que Fanny était douée.

Adelise de X., d’un sang illustre, destinée à posséder un jour une grande fortune, était à seize ans d’une puérilité d’intelligence qui donnait à toute sa personne, à sa démarche, à son geste, à son regard, un air d’empêchement dont la laideur de ses traits, de son teint, de ses cheveux roux, se trouvait encore enlaidie.

La pauvre créature, exposée dans un bruyant pensionnat à la raillerie universelle, était digne de pitié. Plus de soixante enfants, à l’envi moqueurs et cruels, faisaient d’elle leur jouet.

Un jour, pendant la récréation au jardin, comme elle était en butte à je ne sais plus quelles dérisions, je vins à passer. Elle jeta vers moi un regard qui implorait compassion et secours. Je lui donnai d’un même élan l’un et l’autre. La prenant par le bras, à la surprise générale, je l’emmenai avec moi dans une allée écartée, je lui parlai comme si elle avait pu m’entendre, et, pendant tout le reste de la récréation, je ne m’occupai que d’elle. Ce fut une révolution dans le pensionnat. J’y avais une autorité si grande qu’à partir