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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/192

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de ce moment, et par cela seul que je prenais Adelise sous ma protection, personne n’osa plus lui faire d’affront.

Mais ce n’était pas assez pour moi ; les vagues lueurs d’intelligence qui vacillaient dans les yeux de l’idiote, et qui, à mon approche, semblaient parfois se fixer comme en un rayon, m’animèrent d’un espoir secret. Je me persuadai, sans en rien dire à personne, que je pourrais, peut-être, rendre la faculté de pensera la pauvre créature qui n’avait pas perdu la faculté d’aimer. Je m’y appliquai de tout mon cœur. De son côté, Adelise devenait ingénieuse à me marquer sa tendresse ; elle trouvait mille moyens de me la faire connaître. Elle avait remarqué mon goût pour les fleurs. Il était interdit aux pensionnaires d’en cueillir dans les plates-bandes. Adelise bravait la défense, elle dérobait pour moi des roses, des œillets, du jasmin, qu’elle cachait sous son tablier et qu’elle jetait en passant dans ma cellule quand la porte en restait entrebâillée. Elle avait vu aussi, dans nos leçons de dessin, qu’il me répugnait fort de tailler mes crayons et de salir mes doigts de leur poussière. Désormais, chaque jour, en m’asseyant à mon chevalet, j’y trouvais une ample provision de crayons taillés de sa main. Et tout ainsi. De jour en jour, elle nie témoignait mieux, d’une manière plus sensible el plus réfléchie, qu’elle voulait répondre à mes soins. De jour en jour je m’attachais à elle davan-