Aller au contenu

Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Montée à ma chambre, c’était l’heure de la récréation où j’avais mon entière liberté d’aller et de venir, je me jetai au pied du crucifix suspendu à mon chevet, et j’éclatai en sanglots. Ni mes pleurs ne me soulagèrent, ni ma prière ne m’apaisa. Moi, si soumise à la règle, si attentive à tous mes devoirs, moi, si loyale, soupçonnée de fraude, de désobéissance furtive ! moi si tendre et si respectueuse envers notre sainte mère Antonia, accusée de l’avoir outragée ! Sensible comme je l’étais alors, par nature et par suite de l’éducation la plus douce, il se fit dans tout mon être une révolution.

La fièvre se déclara. Il fallut me mettre au lit. Après un accès assez long, je tombai dans un abattement complet. Je ne mangeais plus, je ne dormais plus. Le médecin appelé, ne voyant en tout cela nulle cause physique, demanda si je n’avais pas — quelque peine morale. On avisa l’histoire du bouquet. On me caressa du mieux que l’on put pour en effacer la trace. Mais rien n’y faisait. Il fallut que madame Barat, la supérieure générale, dont l’autorité invisible et redoutée inspirait au pensionnat une sorte de terreur, vînt elle-même à mon chevet, où depuis toute une semaine je ne trouvais plus le sommeil, et qu’elle rendit pleine justice à ma droiture[1]. Elle me dit avec une simpli-

  1. Les phrénologues ont constaté plus tard, à mon crâne, l’énormité de l’organe de la justice, et m’ont annoncé, ce qui s’est vérifié plus d’une fois, que j’en souffrirais beaucoup.