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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/217

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une distraction complète, et l’ennui me sortait par tous les pores.

Je m’en faisais reproche. N’était-ce pas bien mal de ne pas me plaire dans la compagnie d’une personne à qui j’étais si chère et que tout me commandait d’aimer ? Ce trouble de ma conscience ne faisait qu’accroître mon déplaisir. Heureusement ma mère ne sentait pas ce qui manquait à nos rapports. Elle n’était que bonté, moi que douceur. Comment n’aurait-elle pas eu l’illusion d’une intimité parfaite ?

Quel mystère en effet que ces oppositions dénature, si fréquentes et si douloureuses, entre deux êtres de même chair et de même sang, dont l’un est sorti des flancs de l’autre, s’est nourri de sa substance, a grandi sous ses yeux, par ses soins, dans une même atmosphère ! Plus j’y ai réfléchi, moins j’ai pu comprendre une telle ironie de l’hérédité, qui met en présence, dans la relation la plus étroite que puissent créer l’instinct, le devoir et l’habitude, deux personnes en qui tout diffère et dont tous les penchants se contredisent. L’opinion frivole du monde, qui se paye d’apparence, n’admet pas ces anomalies ; mais quel est le moraliste, le philosophe, qui n’en a pas observé des exemples consternants ?

Ce que nous appelons lois du sang, c’est chose bien obscure encore, et, sans le silence des familles qui recouvre plus d’un secret terrible d’antipathies fatales ou