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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/224

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moyen, il avait l’usage du monde et de l’expérience. Sa foi était sincère, mais sans enthousiasme ; ses mœurs étaient pures, mais sans ombre de rigidité. Admis dans l’intimité des familles, il y était bien vu de toutes les générations parce qu’il y portait l’esprit de paix. Aplanissant tout, conciliant tout, dissuadant toujours des mesures extrêmes, l’abbé Gallard pratiquait, en religion, cette doctrine de juste milieu qui devait bientôt triompher dans la politique.

Cet agréable curé aimait à dîner en ville, et ses opulentes paroissiennes lui en offraient souvent l’occasion. De visage et de cœur ouverts, d’humeur bienveillante, de propos gai, il attirait à soi les enfants de la maison.

Je ne sais comment, il s’était fait, dans ce petit monde une renommée pour sa manière de creuser les oranges en puits d’amour ; c’était, paraît-il, quelque chose d’inimitable et de tout à fait délicieux. Rien n’était comique, le dessert venu, comme d’entendre, d’un bout de la table à l’autre, une voix partie d’un groupe de jeunes filles lui crier sans aucun embarras, devant vingt personnes : « Monsieur le curé, faites-nous donc un puits d’amour ! »

Quoi qu’il en soit, je dois à cet excellent homme d’avoir échappé au zèle des accapareurs de conscience et de ne m’étre point abandonnée à une fausse vocation.