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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/24

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a eu ses villages désolés, ses plus belles maisons détruites, ses chevaux tués ou perdus), il se tient en bonne humeur néanmoins. Réduit en sa cage de Souhé[1], il relit Platon et Plutarque; il consulte la Bible et les astres ; il écoute la voix des songes. Demi-chrétien, demi-païen, quelque peu arabe, gentilhomme avant tout, humaniste et moraliste, confiant en la belle et vertueuse fortune de son roy, pour se mettre au cœur l’allégresse et l’avant-goût des batailles, il lui suffira d’un souffle du printemps : Jà, la terre nous rit, écrit-il, de sa cage de Souhé ; jà les arbres boutonnent ; le soleil nous renflamme, et la nécessité renforce le courage. — À ce mot nécessité qui revient aisément sous la plume de mon ancêtre, à ces hautes planètes, à ces calculs des Arabes où il se fie ; à la manière un peu légère dont il traite les subtilitez de la grâce et du libre arbitre, n’en voulant pas laisser estonner la simplicité de sa prière ; au plaisir qu’il paraît prendre à conter à son fils le conte du Vrai annel ; à l’opinion qu’il a de l’enfer, de ces peines infinies dont il ne veut pas croire que l’immense bénignité de Dieu punisse nos péchés finis, j’entre en doute, je l’avoue, sur la parfaite orthodoxie du chevalier chrétien. Son royalisme, lui-même, ne me

  1. Le château de Souhé, aujourd’hui propriété de la famille de Guitaut, est situé sur une hauteur, non loin de Dijon. C’est dans ses murs que se tint en 1589 une conférence des royalistes où l’on décida l’attaque de Semur.