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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/25

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semble pas exempt d’hérésie. Malgré la persuasion qu’il met en rimes que « c’est gloire de mourir le coutelas au poin, pour son prince, et l’avoir de sa vertu témoin », mon ancêtre loue d’un accent qui m’est suspect, en son livre des Rois, le bel ordre de France, composé de toutes sortes de républiques différentes, où chaque province particulièrement s’assemble, clercs, nobles, roturiers, pour conférer librement aux affaires de conséquence. Il déclare que « régner ne se doit proprement dire que là où la raison et justice commandent. » Il admire la constitution, ou ce que l’on appelait alors le cantonnement de la République helvétique. De moi, si j’estoi Souisse, s’écrie-t-il, dans un singulier élan d’orgueil républicain, et qu’un Bourgmaistre voulût empiéter la souveraineté de mon païs, j’emploierais mille vies, si je les avois, pour maintenir ma liberté populaire.

Ces sentiments indépendants du vrai gentilhomme au regard des maximes absolues de l’Église ou de l’État, avec un fond inaltérable de bon sens et de belle humeur, je les retrouve aux siècles suivants chez plusieurs autres de mes ancêtres qui ont également le goût et le don des lettres. Au xviiie siècle, cette indépendance s’imprègne de la sensibilité du temps. En 1768, mon grand-père, le vicomte Gratien de Flavigny, né le 11 octobre 1741 à Craonne en Picardie, et qui mourut en 1783, âgé de quarante-