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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/251

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— Oui, je pars, répondit il, en attachant sur moi un long regard, et, comme je demeurais muette…… « je pars, reprit-il en appuyant sur les mots ; et, d’une voix altérée, je pars… à moins que vous ne m’ordonniez de rester. »

« Restez !… » Ce mot si court, ce mot qui décidait de toute mon existence, il vint, plus prompt que la pensée, à ma lèvre, je l’y sentis vibrer et trembler… il y expira. Il s’y éteignit dans une incroyable défaillance de mon amour et de ma volonté…

Quelqu’un venait ; M. de Lagarde sortit. Je rentrai dans ma chambre. J’entendis la voiture rouler sourdement sous la voûte, le marchepied s’abattre, la portière se refermer. Tout était dit. Je mis ma tête dans mes mains et je fondis en larmes.

Trois mois après, M. de Lagarde, cédant à des sollicitations de famille, épousait une de ses cousines à peine sortie de pension.

Lorsque nous nous revîmes dans le monde, nous ne nous parlâmes jamais du passé. M. de Lagarde ne vint pas chez moi après mon mariage. Il y eut toujours entre nous quelque chose d’à part : une nuance d’accueil et d’accent insaisissable pour les indifférents, mais infiniment douce et triste. Et chaque fois mon regret devenait plus intense par la connaissance que j’avais acquise du monde et de moi-même.

Avec quelle amertume, dans le long cours des ans,