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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/58

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On commandait chez soi, à son heure, les chevaux de poste ; on s’installait dans une bonne berline disposée pour y dormir la nuit au besoin ; on y avait de la lumière pour le soir, avec tout ce qu’il fallait pour prendre ses repas. Des guides — c’est ainsi que s’appelait le pourboire des, postillons — portés de quelques sous au-dessus de la taxe réglementaire, mettaient tout l’attelage en belle humeur ; on partait au galop ; les fouets claquaient, les grelots sonnaient ; les parements écarlates, les boutons de cuivre des postillons reluisaient à merveille. Mais il y avait un revers à cette joie : au-dessous de l’âge de sept ans, les enfants ne payaient point, ou du moins ils ne payaient que demi-place ; on était fort économe alors dans les bonnes maisons, et chiper l’État paraissait aux plus grands seigneurs une gentillesse. Or, donc, lorsque j’eus dépassé l’âge des exemptions, on pensa qu’il serait de bonne prise de gagner un an ou deux sur le règlement, et, pour me dissimuler, a chaque relais, aux regards inquisitifs du maître de poste, on me pelotonnait, on m’enfouissait dans les coussins, on me faisait feindre de dormir ; on s’ingéniait à me rapetisser ; j’étais à la torture. On conviendra que c’était là une grotesque économie dans le budget d’une maison où la fortune se comptait par millions, et dont les possesseurs n’étaient aucunement avares. Je dis le l’ait dans son incroyable vérité. J’ai lieu de croire qu’il