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Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/59

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était assez général, et que bien des enfants de ma génération auront souffert comme moi dans leur amour-propre, dans leur franchise et dans leur liberté, pour paraître plus petits que leur âge et frauder ainsi, peu ou prou, l’administration royale des postes !

L’autre contrainte qu’il me reste à raconter n’avait pas pour but de dissimuler ma taille, loin de là. Il s’agissait de la diriger en hauteur, et de prévenir les déviations qu’une croissance très-rapide et une extrême délicatesse des muscles et des os pouvaient faire craindre. Je croissais, comme on dit, à vue d’oeil, et mon cou semblait croître plus vite que tout le reste. Long et frôle, il avait peine apparemment à porter ma tête ; il ployait sous le poids de ma chevelure extraordinairement touffue. Bientôt l’on s’aperçut que mon front penché en avant faisait creuser la poitrine et s’arrondir les épaules. On prit peur. Je ne sais quel charlatan venait d’inventer une mécanique à seule fin de forcer à se tenir droit les petites filles. Il s’en menait grand bruit ; on m’en affubla. Heureusement pour ma taille, cette mécanique était inoffensive ; heureusement pour mon amour-propre, elle avait un aspect gracieux et portait un joli nom : on l’appelait une Minerve. C’était une longue tige d’acier, recourbée en manière de casque, qui suivait par derrière le galbe de la tête, se rattachant à la taille, sur le front et sous le menton, par une ceinture et des bandelettes