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Page:Sterne - Œuvres complètes, t3-4, 1803, Bastien.djvu/209

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Ô caporal ! si je t’avois aujourd’hui ! — aujourd’hui que je pourrois t’offrir un asyle et pourvoir à tes besoins ! combien tu me serois cher ! — tu porterais ton bonnet de houssard chaque heure du jour et chaque jour de la semaine ; — et quand ton bonnet de houssard seroit usé, je le remplacerois par deux autres tout pareils. Mais, hélas ! hélas ! maintenant que je pourrois être ton ami, ton protecteur ; — il n’est plus temps : car tu n’es plus… Hélas ! tu n’es plus : ton génie a revolé au ciel, sa patrie ; et ton cœur généreux et bienfaisant, ton cœur que dilatoit sans cesse l’amour de tes semblables, est humblement resserré sous le monceau de terre qui te couvre au fond de la vallée. —

Mais qu’est-ce, grand dieux ! qu’est-ce que cette image, auprès de cette scène de terreur que je découvre avec effroi dans l’éloignement !… — de cette scène, où j’aperçois le poële de velours, décoré des marques militaires de ton maître ! — de ton maître ! le premier, — le meilleur des êtres créés ! — où je te vois, fidèle serviteur, poser d’une main tremblante son épée et son fourreau sur le cercueil ; puis retourner plus pâle que la mort vers la porte ; et abîmé dans ta douleur, prendre par la bride son cheval de deuil,