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Page:Sterne - Œuvres complètes, t3-4, 1803, Bastien.djvu/222

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de dire quel je me flatte d’avoir été sous tous ces rapports, — fort au-dessous, je le sais, de ce que j’aurois dû, au-dessous peut-être de ce que je crois avoir été ; — mais enfin tel que je suis, vous, mon cher frère Shandy, qui avez sucé le même lait que moi, — vous avec qui j’ai été élevé depuis le berceau ; — vous, dis-je, à qui, depuis les premiers instans des jeux de notre enfance, je n’ai caché aucune action de ma vie, et à peine une seule pensée, — tel que je suis, frère, vous devez me connoître ; vous devez connoître tous mes vices, aussi-bien que mes foiblesses, soit qu’elles viennent de mon âge, de mon caractère, de mes passions ou de mon jugement.

Dites-moi donc, mon cher frère Shandy, ce qu’il y a en moi qui ait pu vous faire penser que votre frère ne condamnoit la paix d’Utrecht que par des vues indignes ? — Si en effet j’ai paru regretter que la guerre ne fût pas continuée avec vigueur un peu plus longtemps, comment avez-vous pu vous tromper sur mes motifs ? Comment avez-vous pu penser que je désirasse la ruine, la mort ou l’esclavage d’un plus grand nombre de mes frères ; que je désirasse (uniquement pour mon plaisir) de voir un plus grand nombre de familles arrachées à leurs paisibles habitations ?