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Page:Sterne - Œuvres complètes, t3-4, 1803, Bastien.djvu/285

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seul au monde tant que lui restes encore. »

En ce moment une glace de la berline se baissa, et il en tomba quelques débris de viandes froides, avec lesquelles les voyageurs venoient de déjeuner. Les deux chiens s’élancèrent. — La berline partit : un seul chien fut écrasé. — C’étoit celui du pauvre.

Le chien jetta un cri, — ce fut le dernier. Son maître s’étoit précipité sur lui. — Son maître dans le plus sombre désespoir ! Il ne pleuroit point. Hélas ! il ne pouvoit pleurer. — Mon bon-homme, lui criai-je. — Il retourna douloureusement la tête. Je lui jettai un écu de six francs. — L’écu roula à côté de lui sans qu’il s’en mît en peine. Il ne me remercia que par un mouvement de tête affectueux ; et il reprit son chien dans ses bras. — Hélas ! son chien étoit mort, —

« Mon ami, dit le soldat, en lui tendant la main, avec les six francs qu’il avoit ramassés, — ce brave gentilhomme Anglois vous a donné de l’argent. Il est bienheureux ! Il est riche ! — Mais tout le monde ne l’est pas. — Je n’ai qu’un chien ; vous avez perdu le vôtre ; — celui-ci est à vous. » — En même-temps il attacha son chien avec une petite corde qu’il mit dans la main du pauvre, et il s’éloigna aussi-tôt.