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Page:Sterne - Œuvres complètes, t3-4, 1803, Bastien.djvu/302

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le vin de l’outre s’étoit enfui, sans qu’il s’en fut perdu une seule goutte.

L’homme est un animal d’habitude. — Il avoit fait tout le jour une chaleur étouffante ; — la soirée étoit délicieuse, — le vin du pays excellent. Le coteau de Bourgogne qui le produisoit étoit escarpé. — Au pied de ce coteau, à la porte d’une cabane fraîche, pendoit un petit bouchon séduisant, dont la vue réveilloit le désir. — À travers le feuillage murmuroit un doux bruit qui sembloit dire : Venez, venez beau muletier. Muletier altéré, entrez ici.

Le muletier étoit enfant d’Adam. Ce seul mot le désigne assez. — Il donna un bon coup de fouet à chacune de ses mules, en regardant l’abbesse et Marguerite, comme pour leur dire me voilà. — Il donna un second coup de fouet, comme pour dire à ses mules allez toujours. — Et s’échappant par derrière, il se glissa dans le cabaret qui étoit au pied de la montagne.

Le muletier, tel que je l’ai dépeint, étoit un bon vivant, sans soucis, sans affaires, songeant peu au lendemain, et ne se souciant guère de ce qui avoit été avant lui, ou de ce qui seroit après. — Pourvu qu’il eût avec du vin, un visage à qui parler, il étoit