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Page:Sterne - Œuvres complètes, t3-4, 1803, Bastien.djvu/40

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Et Sénèque a dit quelque part, que de pareils chagrins se dissipoient mieux par la voie des larmes, que par toute autre.

Aussi trouvons-nous que David a pleuré son fils Absalon, — Adrien son Antinoüs, — Niobé ses enfans, — et qu’Apollodore et Criton ont tous deux versé des larmes pour Socrate avant sa mort.

Mon père ne prit exemple ni sur les anciens, ni sur les modernes, et se gouverna d’une façon toute particuliére.

On vient de voir que les Hébreux pleuroient ainsi que les Romains. — On prétend que les Lapons s’endorment quand ils sont dans l’affliction ; — les Allemands, dit-on, s’enivrent ; — et l’on sait que les Anglois se pendent. — Mon père ne pleura, ni ne s’endormit, ni ne s’enivra, ni se pendit ; — il ne jura, ni ne maudit, ni n’excommunia, ni ne chanta, ni ne siffla : — que fit-il donc de sa douleur ?

Il vint toutefois à bout de s’en débarrasser. — Mais souffrez, monsieur, que j’insère ici une petite histoire.

Quand Cicéron perdit sa chère fille Tullie, il n’écouta d’abord que son cœur, et modula sa voix sur la voix de la nature. — Ô ma Tullie ! s’écrioit-il, ô ma fille ! mon enfant ! Ô dieux ! — dieux ! j’ai perdu ma Tullie !