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Page:Sterne - Œuvres complètes, t5-6, 1803, Bastien.djvu/201

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d’elles, et m’y tins tranquillement… J’étois en noir, et à peine pouvoit-on distinguer qu’il y eût là quelqu’un.

La dame dont j’étois le plus proche, étoit grande, maigre, et d’environ trente-six ans ; l’autre, aussi grande, aussi maigre, avoit environ quarante ans. Elles n’avoient rien qui dénotât qu’elles fussent femmes ou veuves. Elles sembloient être deux sœurs, vraies vestales, aussi peu accoutumées au doux langage des amans qu’à leurs tendres caresses… J’aurois bien souhaité de les rendre heureuses… Mais le bonheur, ce soir, étoit destiné à leur venir d’une autre main.

Une voix basse avec une bonne tournure d’expression, terminée par une douce cadence, se fit entendre, et leur demanda, pour l’amour de Dieu, une pièce de douze sous entr’elles deux… Il me parut singulier d’entendre un mendiant fixer le contingent d’une aumône, et surtout de le fixer à douze fois plus haut qu’on ne donne ordinairement dans l’obscurité… Les dames en parurent tout aussi surprises que moi. Douze sous ! dit l’une ; une pièce de douze sous ! dit l’autre ; et point de réponse.

Je ne sais, Mesdames, dit le pauvre, comment demander moins à des personnes