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Page:Sterne - Œuvres complètes, t5-6, 1803, Bastien.djvu/59

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dame, j’avouerai que cet événement attrista mon cœur ; et je ne pus m’empêcher de le lui dire… car en vérité, madame, ajoutai-je, il est fatal à une proposition que j’allois vous faire…

Il est inutile, dit-elle, en m’interrompant et en mettant une de ses mains sur les deux miennes, de m’expliquer votre projet. Il est rare, mon bon Monsieur, qu’un homme ait quelque proposition amicale à faire à une femme, sans qu’elle en ait le pressentiment quelques momens auparavant.

Oui… la nature, dis-je, l’arme de ce pressentiment, pour la garantir du piège…. Mais, dit-elle en me fixant, je n’avois rien à craindre ; et, à vous parler franchement, j’étois déterminée à accepter votre proposition. Si je l’eusse acceptée… elle s’arrêta un moment… je crois, reprit-elle, que vous m’auriez disposée à vous raconter une histoire qui auroit rendu la compassion la chose la plus dangereuse qui auroit pu nous arriver dans le voyage.

Et me disant cela, elle me tendit la main… Je la baisai deux fois, et elle descendit de la chaise en me disant adieu avec un regard mêlé de sensibilité et de douceur.