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Page:Stirner - L’Unique et sa propriété.djvu/13

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tente d’envisager en lui une de ses manières d’être, une de ses qualités : le citoyen. Le citoyen de son côté repousse tout ce qui n’est pas l’État, il repousse l’an-archie au sens de Proudhon.

Mais l’individu dépasse en tout sens le citoyen et se trouve naturellement en conflit avec l’État. Par sa naissance, il porte immédiatement atteinte à cette sorte d’harmonie préétablie que conçoit l’État. Car il est peu probable que son individualité corresponde précisément à l’idéal citoyen. Tel qu’il voudrait s’affirmer, c’est-à-dire en se développant sans contrainte, l’individu apparaît criminel parce que sa personnalité fait éclater le cadre où la société l’enferme. Je veux me manifester comme Moi, et l’État aussi. Mais l’un et l’autre en tant que Moi, en tant qu’absolu, ayant une puissance souveraine illimitée, ne peuvent coexister sans se rencontrer, sans se heurter ; il faut que le plus fort refoule totalement le plus faible. L’État ne reconnaît qu’à lui-même le droit d’être un Moi. Tout son effort tendra à chasser de moi le Moi pour n’en garder que le citoyen. « Cette peau de lion du Moi, l’État, ce mangeur de chardons, s’en empare et fait le beau avec. »

« L’État, dit Stirner, c’est l’ostracisme organisé des Moi. » Ce mot n’est pas qu’une figure. L’ostracisme à Athènes ne fut pas une mesure exceptionnelle, ce fut, durant toute une époque, un moyen courant de gouvernement, un instrument commode aux mains de l’État pour empêcher les Moi trop marquants de diminuer sa personnalité. Pour tous ceux qui correspondaient au type moyen du citoyen — type idéal — on n’avait que faire de l’ostracisme. « L’ostracisme, dit le poète comique Platon, n’est pas fait pour les médiocres. » Miltiade et Thémistocle le subirent précisément parce que leurs personnalités puissantes ne pouvaient se plier à l’ordre légal, et qu’ils étaient, par leurs attitudes mêmes, par tous leurs gestes, par leurs pensées, criminels ; parce qu’ils dépassaient démesurément le rôle ingrat que l’État leur imposait. Leur supériorité exhalait le crime. Rien de changé dans l’État moderne ; sauf le procédé, qui est moins franc. Dans la cité antique, c’était un nombre déterminé de citoyens qui édictaient l’ostra-