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Page:Stirner - L’Unique et sa propriété.djvu/14

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cisme, en inscrivant le nom de celui qu’ils voulaient frapper sur des tessons d’argile. Aujourd’hui, c’est une puissance anonyme et indéfinie qui plane lourdement au-dessus du Moi, prête à s’abattre sur lui s’il manifeste la velléité de s’élever, car, par le fait qu’il s’élève, il se soulève, c’est-à-dire se révolte. Malheur à qui n’a pas l’âme domestiquée. Nécessairement, la réalisation de cet être amorphe agréable à l’État, sur lequel la loi n’a pas de prise, implique toutes sortes de capitulations de conscience, lâchetés que l’on décore du nom d’empire sur soi-même. Si l’individu est suffisamment souple et s’il sait plier aux innombrables occasions où l’être fier se révolte, il arrivera sans encombre au bout de son existence, oublié des tribunaux. Celui-là sera un bon citoyen, infiniment meilleur qu’un être fier et généreux qui, par ses protestations incessantes au nom de la justice — de la justice individuelle — trouble l’ordre établi. Car cette justice individuelle est rarement compatible avec la justice sociale, base de l’Ordre. Sache te faire petit, « rapetisse ton cœur », dit le Chinois. C’est le seul moyen pour toi d’être heureux. Fais-toi oublier. Ne fais pas émerger ton individualité si haut que l’État l’aperçoive, mais sois une vague anonyme de l’océan humain.

La société y pourvoit par le « dressage », c’est par là qu’elle atteint à l’harmonie idéale. Donc, on nous « serine » certaines « ritournelles » et, quand on constate que nous en sommes suffisamment saturés, « on nous déclare majeurs ». Ces ritournelles, ce sont les formules de respect par lesquelles on nous agenouille devant les idées sacro-saintes. Il est probable que ce dressage ne se fera pas sans porter quelque dommage à la fierté de l’individu. « La peur du gendarme est le commencement de la sagesse. » Ce proverbe populaire, dans sa trivialité, est plein d’enseignements. Il nous apprend que la sagesse, c’est-à-dire le total des qualités du citoyen, se ramène à la peur, enfin que le populaire personnifie les concepts les moins susceptibles de représentation et qu’il oublie bien vite l’idée pour ne plus connaître que les individus, les uniformes qui en sont les signes. Quelle que soit la croyance, reli-