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Page:Stirner - L’Unique et sa propriété.djvu/132

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On a rapproché à propos de Luther et Descartes ; en regard de « Celui qui croit est un Dieu », on a mis « je pense, donc je suis » (cogito, ergo sum). Le ciel de l’homme, c’est la pensée, — c’est l’esprit. Tout peut lui être arraché, non la pensée, non la foi. Une foi déterminée, la foi en Zeus, Astarté, Jéhovah, Allah ! peut être détruite, la foi elle-même au contraire est indestructible. Dans la pensée est la liberté. Ce dont j’ai besoin, ce dont j’ai faim, ce n’est pas la grâce qui me le procurera, ni la Vierge Marie, ni l’intercession des saints, ni l’Église qui lie et délie, c’est moi qui le procurerai à moi-même. Bref mon être (le sum) est une vie dans le ciel de la pensée, de l’esprit, un cogitare. Moi-même je ne suis pas autre chose qu’esprit, pensant (suivant Descartes), croyant (suivant Luther). Je ne suis pas mon corps. Ma chair peut subir des désirs ou des douleurs. Je ne suis pas ma chair, mas je suis esprit, rien qu’esprit.

Cette pensée traverse d’un bout à l’autre l’histoire de la Réforme jusqu’aujourd’hui.

La philosophie moderne depuis Descartes s’est appliquée sérieusement à donner au christianisme sa réalisation complète, en élevant la « conscience scientifique » à la qualité de seule vraie et valable. Par suite, elle commence avec le doute absolu, avec le dubitare, avec la contrition de la conscience ordinaire, avec l’aversion de tout ce qui n’est pas légitimé par l’esprit, par la « pensée. » Pour elle, la nature ne vaut rien, rien l’opinion des hommes, « les institutions humaines » et elle n’a pas de repos qu’elle n’ait introduit partout la raison, qu’elle ne puisse dire : « le réel, c’est le raisonnable, et il n’y a de réel que le raisonnable. » Ainsi elle a finalement conduit l’esprit, la raison à la victoire, tout est