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Page:Stirner - L’Unique et sa propriété.djvu/352

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« esprit ». Les travailleurs qui demandent un plus haut salaire sont traités comme des criminels aussitôt qu’ils veulent l’obtenir par la force. Que doivent-ils faire ? Sans contrainte ils ne l’obtiendront pas et dans la contrainte, l’État voit un self-help, une détermination de prix établie par moi, une estimation libre et réelle de sa propriété, ce qu’il ne peut permettre. Que doivent donc faire les travailleurs ? S’en rapporter à eux-mêmes et ne rien demander à l’État ?…

Il en est de mon travail intellectuel comme de mon travail matériel. L’État me permet de tirer de mes pensées toute leur valeur et de les communiquer aux hommes (cette valeur, je la réalise déjà par l’honneur que je tire de mes pensées en les faisant écouter), seulement en tant que mes pensées sont les siennes. Si, au contraire, je nourris des pensées qu’il ne peut approuver, c’est-à-dire qu’il ne peut faire siennes, il ne me permet absolument pas d’en tirer parti, de les échanger, de les mettre en circulation. Elles ne sont libres que si elles me sont permises par l’État, si ce sont des pensées d’État. Il ne me laisse philosopher librement qu’autant que je m’affirme « philosophe d’État ». Contre l’État, je ne puis philosopher ; il me pardonne d’ailleurs volontiers de lui signaler « ses lacunes » et de le « seconder ».

Ainsi, comme je ne me reconnais que comme un moi gracieusement autorisé par l’État, comme un moi muni de témoignages de légitimité et de papiers de police, il ne m’est pas permis par l’État de mettre en valeur ce qui est mien, à moins que ce mien ne s’affirme comme sien, que je ne le reçoive de lui en fief. Mes voies doivent être les siennes, autrement il se saisit de moi ; mes pensées, ses pensées, sinon il me ferme la bouche.